“Le sentiment d'appartenance, se construit peu à peu, par le partage avec d'autres d'une même réalité, de mêmes valeurs ou de mêmes objectifs. Il aide à forger son identité, il donne envie de se sentir fier de faire partie d'un groupe.”
Depuis que je suis entrée dans le monde des études supérieures, puis dans la vie active et surtout depuis 11 ans que je ne vis plus à Metz, je me sens parfois comme une extra terrestre parmi des gens qui n’ont qu’une vague idée de ce que à quoi ressemble ma planète. Je me suis habituée à avoir deux vies bien distinctes, et qui me donnent parfois à vivre avec deux identités. Sur mon blog j’évoquais - il y a 10 ans déjà - comme il pouvait être étrange de passer d’un palace dans lequel on m’invitait, à mon quartier quand je retournais dans ma famille pour le week-end. Je pouvais passer d’un chalet à Courchevel avec des millionnaires - le cercle de mon ex mari - à la Zep dans laquelle j’avais grandi. J’avais appris à évoluer dans le monde que j’avais rejoint, grâce à une aisance de façade, je ne sais pas s’il est possible de se détacher complètement du complexe de la prolo qui a rejoint les riches - en sachant qu’elle ne fera jamais partie des leurs - car tous les jours quelque chose nous rappelle, à commencer par notre vraie nature, par notre absence totale de patrimoine (parents locataires), que ce n’est pas notre environnement à nous. Tous les jours une discussion, une remarque, un souvenir, vous le rappelle, ce sentiment existe dès qu’on représente une exception au sein d’un groupe qui a tendance à être homogène : en tant que personne handicapée, il m’est impossible de ne pas avoir conscience de ce qui me sépare des gens qui m’entourent qui eux sont tous valides1 et peuvent danser toute une soirée, en tant que femme dans un groupe exclusivement masculin nos différences d’éducation sera source d’inconfort, même si on saura s’adapter. L’exemple du handicap est flagrant, car la différence physique rend l’incompatibilité évidente, ne serait-ce que pour louer une maison de vacances entre amis, je me rappelle que c’est moi le boulet. Evidemment tout le monde s’accordera à dire que je ne suis pas un boulet, mais dans les faits la moindre organisation sera plus complexe car notre société n’étant pas très adaptée aux handicaps, les obstacles seront très présents (il est dur de trouver une maison accessible à tous les niveaux), et me font forcément penser que les choses seraient bien plus simples sans moi.
Quand nous sommes nés tout en bas, et que nous côtoyons des gens nés tout en haut, on a comme un handicap invisible dans un monde valide : personne ne se doute, mais la différence est bel et bien réelle pour la personne concernée. Dans son intérieur.
Un soir je discutais avec un chauffeur Uber d’origine algérienne, je suis sortie de la voiture avec le sourire, et une chaleur au coeur suite à une discussion à une période où je me sentais particulièrement déracinée. Quand j’ai rencontré mon kiné-neuro d’origine vietnamienne j’ai tout suite su qu’il venait du même milieu, on avait un humour similaire et il n’a pas été dominant une seule seconde ce qui est rare dans le corps médical. Deux interactions plus que banales n’auraient pas dû me faire tant de bien, elles m’ont rappelée pourquoi j’avais de moins en moins envie de sortir, de répondre aux invitations, passées les années où on dissimule tout ce qui nous sépare des autres sous l’alcool et les clopes, c’est comme si j’étais exténuée, comme si j’avais assez joué à ce jeu et qu’il ne m’intéressait plus. Je crois que je m’ennuie.
Petit aparté sur la cigarette, j’ai commencé à fumer à 28 ans, j'avais pour la première fois de ma vie un groupe d’amis, ce qui nous réunissait était notre passion pour le théâtre, on avait beau être très différents nous nous sommes attachés très forts les uns aux autres, alors j’ai fait tout ce que je n’avais jamais fait plus jeune, à commencer par imiter les fumeurs qui avaient plus de contenance, les cigarettes rendent certaines situations sociales moins anxiogènes, elles se sont ajoutées au masque, je vous mentirai si je vous disais que les raisons de commencer la clope sont plus nobles quand on est plus vieux, non c’est pire, parce qu’on répond au mêmes conneries d’image et de désir d’appartenance, en ayant parfaitement conscience de ce qu’on fait. Exactement comme quand je suis sur scène, je crois en ce que je joue mais je sais toujours que je suis en train de jouer. Je faisais partie d’un groupe, et je faisais comme dans les films, verre de vin et clope à la main en terrasse, soirées très, trop, alcoolisées, et toujours avec la même forme de mimétisme je fumais une clope en sortant des rendez-vous médicaux où j’apprenais que la vie que j’avais jusque là était foutue.
Jusqu’à 33 ans j’ai fumé plusieurs cigarettes par jour, jusqu’à un paquet entier en soirée, j’ai arrêté quand mon groupe s’est progressivement dissout, et qu’en me voyant fumer seule sur mon balcon, comme avaient toujours fait les adultes de ma famille sujets à de multiples addictions - j’avais pris tant de soin à ne pas suivre leur chemin - je me trouvais tout bonnement ridicule. Quoi, ma vie avait changé, j’avais une maladie, alors autant y aller à fond ? Qu’il est facile de se complaire dans une sorte d’image cinématographique, d’entrer dans ce fantasme de l’auto destruction glamourisée par de belles images. Je connaissais le vrai drame, celui qui ne ressemble pas souvent à ce qu’on voit dans les films - ces films sont rarement crées par ceux qui souffrent2 - et voilà que je jouais à l’héroïne déchue, qui fume, dort à pas d’heures et se nourrit mal, maigrit à vue d’oeil, à cette femme qui si elle ne pouvait pas devenir mère et accéder à la vie qu’elle avait visée, pouvait alors bien épouser un peu le chaos, je pouvais me servir de mes traumas pour être Jennie dans Forrest Gump, parce que j’aimais me dire qu’au fond ma vie finirait comme elle avait commencé : mal. Sauf que je sais ce que cachent ces attitudes qui servent finalement à crier aux autres “regardez-moi !”.
(Cette partie est spéciale, mais correspond plus à ce que j’écris en privé, je l’aime bien, je tends à me laisser être plus libre, alors je la garde, vous m’excuserez :D)
Bref où en étais-je, oui, je me sens bien avec des personnes qui partagent mes origines, un passé similaire, des expériences communes, ou issues d’autres communautés issues de l’immigration avec lesquelles j’ai grandi. Avec qui je peux choisir mon autre identité, celle qui reste généralement en arrière plan dans ma vie sociale. Celle à laquelle, les gens que je côtoyais ne voulaient de toute façon pas s’intéresser.
A Paris je n’ai que ma soeur, et un conjoint qui a un papa algérien et une maman française qui a grandi en Algérie, je ne demande pas que l’homme qui partage ma vie ait les même origines, mais il est important pour moi d’avoir un partenaire qui comprend le contexte de ma vie, et avec qui je partage des références. J’ai été 12 ans avec un homme blanc de classe moyenne, et avant de côtoyer un cercle très bourgeois - qu’il voulait rejoindre - les choses se passaient très bien, nous nous sommes rencontrés dans un lycée où les élèves provenaient de milieux très variés, il était dans la classe de mes deux meilleures amies d’origine comorienne, un de ses meilleurs amis était marocain et avait des parents sourds, nos différences culturelles n’ont jamais posé problème précisément parce qu’on s’est connus dans un endroit cosmopolite et où l’argent ne coulait pas à flot.
Je me sens plus à l’aise depuis que je vis dans un quartier plus populaire du 11° arrondissement, en 15 ans je n’avais eu aucun voisin racisé, j’aime vivre où il y a tous types de gens, je vais régulièrement à Ménilmontant manger un couscous et voir le genre de population que j’ai côtoyée toute ma vie, c’est d’ailleurs assez troublant de ressentir du réconfort en allant dans des lieux moins confortables. Avec mes copines parisiennes je vais sans me poser de questions dans des adresses toutes jolies pour boire des Latte, quand avec Tom je peux aussi aller dans un resto avec des nappes en papier pour manger une brick au thon à 4€, une adresse que je ne pourrais jamais proposer à certaines personnes. J'ai besoin de ces 2 côtés, qui font qui je suis, je ne voudrais vivre ni sans l’un, ni sans l’autre. Il n’est pas question de faire un choix.
Revenons au sentiment d’appartenance dans le cas de l’humour, beaucoup des références qu’ont souvent mes amis parisiens me sont étrangères, je ne connais rien à la team Chabat, Les Nuls, Les bronzés, Kaamelot, je suis particulièrement inculte et ne comprends pas toujours les nombreuses références associés à ce type d’humour que j’ai découvert extrêmement tard, et par manque d’habitude j’y suis aujourd’hui très peu sensible. Même quand je comprends intellectuellement pourquoi les blagues fonctionnent, je souris, mais organiquement les éclats de rire se font rares, et avant de comprendre que c’était dû à mon capital culturel très limité ou trop différent, j’avais comme l’impression d’être éteinte à l’intérieur. Il ne s’agit pas forcément de culture ou d’origine, une personne comme Hannah Gadsby me fait rire et me touche particulièrement, parce que c’est une femme brillante avec des choses à dire, qu’elle est aussi neuro atypique, qu’elle fait aussi partie de plusieurs minorités, qu’elle a vécu des expériences difficiles, comme je le disais il s’agit de partager quelque chose de fort, une expérience commune, la culture est un des pans de ce que peut être cette expérience.
J’ai grandi en regardant Gad Elmaleh, Jamel Debouze, Fellag, mes grands parents regardaient Inspecteur Tahar, “sur la parabole”, et quand ce n’était pas maghrébin c’était populaire, Les feux de l’amour, Inspecteur Derrick, Colombo, Une nounou d’enfer. Chez les gens qui ont le capital culturel dont je rêve encore, vous trouverez rarement une télé dans un salon, ils ont une salle dédiée avec 1000 DVD classés par genre. Si j’ai pu accéder un tant soit peu à une littérature et à un cinéma avancés par moi-même, que je suis calée en société, en psychologie,... je n’ai jamais rattrapé ni compensé le capital culturel des gens que je fréquente.
Je me souviens lors d’une partie de Time’s up, une amie avait mis “Caravage” dans les mots, je pense lire quelqu’un qui a écrit trop vite, je balance “euh la chanson la plus connue de Raphaël !”. Quand elle remarque que je ne sais pas de quoi il s’agit elle éclate de rire, tout le monde dans la pièce connait l’artiste Caravage, comme on connaitrait le père Noël, alors tout le monde a ri, j’ai ri aussi, mais à force de vivre ce genre de moments - depuis que je suis entrée en Fac de Lettres - je sais que cette accumulation de méconnaissance dès qu’on touche à l’Art et à la Culture, alimente un petit complexe, une honte, qui m’accompagnent depuis toujours. Même avant d’en comprendre intellectuellement les raisons, déjà petite j’avais en horreur les cérémonies comme les césars, le festival de Cannes, alors que j’étais obsédée par le cinéma, aucun programme ne m’a plus donné à penser que j’étais condamnée à ne jamais accéder aux même choses que ces gens que je voyais à l’écran.
Voyez Cendrillon face à ses deux soeurs, elles avaient beau être moins jolies, cruelles, bêtes, leur statut leur permettait de réduire en esclavage la soeur la plus douce, la plus gentille, la plus intègre, parce qu’elle est pauvre, et quelle est la seule chose qui pouvait la sauver ? Ce n’est pas la bonne fée, qui ne fait que la fagoter pour qu’un prince riche vienne à sa rescousse. Même dans un Disney on apprend que la seule porte de sortie vraiment valable est l’ascension sociale et qu’elle passe par des probabilités infimes, il fallait qu’il fouille tout le royaume, comme un pauvre doit braver tout un système qui est presque pensé contre lui. Il avait 0,1% de chance de la retrouver. Et passons le fait que le boug ne la reconnait même pas sans lui faire essayer une chaussure.
A suivre… 😉
Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer une personne jeune malade ou handi que ce soit dans le milieu du blog, au travail, dans les soirées des copains.
Euphoria, Skins, toutes ces fictions qui glamourisent le drame, Christiane F. qui sombre dans la drogue parce qu’elle s’ennuie et que le monde de la nuit à Berlin où la drogue coule à flot, semble attirant, et produit un best seller, on est loin des histoires les plus courantes et les plus systémiques relatives à la drogue, parce qu’il serait moins fascinant de montrer des gens amaigris creusés endormis dans leur pisse, on préfère Rue, belle gosse, fraiche, première de la classe, aux yeux parés de paillettes, sans compter que les comédiennes, nous avons toutes le fantasme de jouer la toxicité, Zendaya a participé à l’idée de Malcom & Marie un film où le réalisateur de Euphoria surfe plus que jamais sur la glamourisation des relations amoureuses néfastes.
En tout cas je suis bien contente que tu te sentes bien dans cet appart <3