Origines d’un « caractère »
Le premier abus de pouvoir que j’ai connu de la part d’un homme qui m’a pourri la vie
Depuis que j’écris sur Internet, je remarque que mes lectrices saluent chez moi assez régulièrement ce qu’elles appellent “du courage” et que je sois engagée, quitte à déplaire.
Je pense que personne ne nait courageux, si notre ADN conditionne considérablement qui nous sommes d’un point de vue physique, si on sait que les gènes sont impliqués dans nos traits de caractères, la personnalité est avant tout la composante de notre éducation, de nos expériences de vie dans une société donnée, et sa construction se met en route très tôt.
Je n’aurais jamais pu être une personne non engagée, parce que mon engagement est le fruit d’une multitude d’expériences, si j’en avais connu d’autres, d’un autre registre, je serais aujourd’hui différente, j’aurais certainement d’autres centres d’intérêt, je serais peut-être apolitique, on ne saura jamais qui on aurait pu devenir avec des expériences différentes, tout ce qu’on sait c’est qu’on serait devenu une autre version de nous-même. Sur le principe des réalités alternatives, il pourrait exister autant de monde parallèles et de version de nous, que de choix qu’on a faits, de personnes qu’on a rencontrées, ou de choses qu’on a vécues.
Lorsque j’étais au collège, j’étais scolarisée à Metz à Paul Valery, notre petit collège de Borny, une ZEP, qui comptait des classes classiques, et des classes dites “Segpa” pour les élèves qui pour de multiples raisons, indépendantes de leur volonté, ont accumulé trop de retard pour suivre le parcours classique. Il n’était donc pas dur de prendre conscience que malgré les difficultés que moi je connaissais à cette époque, j’avais des privilèges par rapport à d’autres personnes qui m’entouraient. J’étais née en France, ce n’est pas le cas de mes parents mais j’ai eu des instituteurs et des professeurs incroyables, alors même si les choses auraient pu mal se passer pour moi, car on n’a jamais vérifié ni mes devoirs ni mes notes (je me débrouillais seule depuis l’école primaire) j’ai développé un sens des responsabilités à un âge où ne sommes pas censées le faire. Les enfants qu’on substitue un peu aux adultes ne connaissent pas une évolution “normale”, ils n’ont pas connu l’insouciance très longtemps et peuvent connaitre une certaine forme de solitude, de par leur décalage avec les enfants qui ont l’occasion d’être des enfants avant de grandir. Dans mon cas cette absence de supervision m’a fait vivre des expériences où j’aurais dû être protégée, mais qui ont forgé d’une certaine façon ce rapport que j’ai avec la domination.
J’ai donc décidé de vous raconter la toute première fois où un homme blanc a abusé de sa position avec moi, sans que personne ne soit au courant ou n’intervienne, et que cela a duré toute la durée de ma première seconde. Je dis bien première seconde car ce harcèlement de la part d’un CPE, que j’étais incapable d’identifier comme tel à l’époque, m’a fait redoubler alors que j’étais bonne élève et n’avais aucune raison de devoir recommencer.
Depuis plusieurs années j'ai en tête de devenir scientifique, je me dis que je dois mettre les chances de mon côté. Je suis la seule de tout le collège à choisir le Lycée Louis Vincent, au centre ville de Metz, une ancienne école supérieure pour garçons réputé pour être assez difficile et porté sur la Science. Toutes mes copines ont naturellement choisi le Lycée de la Communication à 10 mn de Paul Valéry, il avait la réputation d'être cool et d'avoir un CROUS, c'était un peu le lycée de rêve. Il m'est difficile de m'éloigner de mes meilleures amies A. et L. avec qui je passe tout mon temps mais je pense à mon avenir, je me dis que je n'ai pas le choix si je veux un jour rejoindre une prestigieuse école et passer de l'autre côté de la barrière, j'ai le niveau d'y aller alors même si j’ai peur j’y vais.
Le jour de la rentrée je vois que nous sommes 5 filles dans tout l'établissement, nous devons être 4 personnes d’origine étrangère, en tout cas en parcours général, et je suis la seule à venir de Borny. Je finis pas ne plus dire aux élèves que je viens de ce quartier, car pour la première fois de ma vie, je suis entourée de jeunes hommes blancs vraiment privilégiés. Sans avoir aucune idée de ce que cela représente, je voyais simplement des regards que je ne savais pas identifier. Quant à l’enseignement, il était certes très qualitatif, mais jamais avant et jamais après je n’ai connu autant de rabaissement de la part de professeurs. Impossible de dire qu’on ne comprend pas quelque chose sans risquer l’humiliation, sans jamais tenir en compte de notre genre, car oui humilier une fille devant une vingtaine de garçon au moment de l’adolescence, c’est d’autant plus grave.
Je pensais que je n'avais pas les épaules pour ce genre d'établissement censé formé la fine fleur, et que le CPE l’avait surement remarqué pour s’acharner sur moi comme il le faisait, je pensais être une enfant avec de mauvaises manières par rapport aux autres et que ça devait se voir, le fait est que c'est la première fois que je sors de mon milieu, et que je suis confrontée à de la discrimination.
Un jour je tombe malade, quand je reviens j’oublie le mot d’excuse. J'apporte le mot un jour plus tard, et au moment où je le donne aux surveillants le CPE intervient, me dit que ce retard est inadmissible et m'annonce - devant tout le monde - qu'il me colle tous les jours de la semaine jusqu'à la fermeture du Lycée. Nous sommes en début de semaine. J'ai le maximum de cours - car j'avais déjà cette incapacité à choisir - je suis la seule élève à avoir choisi toutes les options donc j'ai déjà cours du lundi au samedi midi, dont le mercredi toute la journée.
Premier jour de colle, il me demande d'apprendre un poème et de le réciter devant toute la permanence, une quinzaine de garçons, j’étais la seule fille. Je ne peux rien faire, rien dire, je m'exécute, humiliée, peut-être ne réalisait-il pas le spectacle qu'il offrait à des lycéens de cet âge ? Au collège j'ai eu des accrochages pour refus d'aller au tableau, je préférais avoir des avertissements de conduite ou des "0" plutôt que d’enlever mon manteau et me montrer devant tout le monde, mais je ne peux pas prendre le risque d’être expulsée.
A chaque fois qu'il peut me faire chier, il le fait. Comme si être 3 filles en classe avec 28 garçons à l'âge de 15 ans n'est pas déjà assez contraignant. Tous les jours des remarques sexistes, des commentaires, des gestes pour faire rire les copains, des discussions en permanence dans mon dos, un exposé sur la jupe que je porte, des petites humiliations comme cette main au cul que la prof a vu sans bouger un sourcil.
Sans compter que le niveau est si difficile, au début en Maths et en Français moi qui avait 17 de moyenne en troisième, j'ai du retard par rapport aux autres qui viennent de collèges qui placent la barre haut. Je dois tout rattraper sans aide extérieure, j'ai 3 options en plus du tronc commun mais je finis par y arriver.
La fin de l'année approche, j'ai déjà assez de problèmes à la maison pour laisser le Lycée m'impacter autant, je n'ai pas de chambre ni de bureau, j'ai la table de la cuisine quand elle n'est pas occupée, au diable la visée de l'excellence, je compenserai moi même. A la bibliothèque ou que sais-je.
J'annonce au CPE que je veux faire ma classe de première au Lycée de la Communication, il me dit qu'il en est hors de question, si je fais un bac scientifique je suis obligée de rester à Louis Vincent. Il me dit que je peux partir seulement si je fais un bac "économique et social", car il n'est pas proposé dans mon Lycée. Je mens et lui réponds que j'ai choisi de changer de bac, il me dit alors que je suis obligée de redoubler la seconde pour suivre l'option Sciences économiques et sociales sinon mon dossier sera refusé et je serai coincée chez eux. Un CPE dont la mission est de nous aider dans notre parcours scolaire me ment frontalement mais je ne le sais pas.
Je ne referai pas une année de plus dans ce lycée de fou, j'accepte et je m'inscris au Lycée de la Communication en seconde, c’est dur à accepter d’avoir un redoublement dans mon dossier et de perdre une année entière, pour rien. Mais mes meilleures amies redoublent pour d'autres raisons, alors je me dis que c'est pas grave. On se retrouve dans la même classe. Même si je déteste les cours de SES, non mais quelle horreur ces cours, des cours d'histoire en pire.
Finie l'angoisse quotidienne, je retrouve mes notes habituelles, je tombe sur un prof de français que je ne remercierais jamais assez et je suis avec mes copines, c'est le jour et la nuit.
J'ai appris plus tard que j’aurais pu passer directement en première S au Lycée de la communication.
On se sent pathétique quand quelqu'un nous humilie et qu'on ne bronche pas.
Mon “petit caractère” est le fruit de quelques humiliations précoces, et il existe parce que quand je me laisse faire, ce qui peut m’arriver de temps en temps car nous sommes humain avant tout, j’ai l’impression de n’avoir aucune valeur, je crois que je pourrais me détester.
Quand on ne compte pas pour les adultes qui sont censés être là pour nous, en grandissant il faut beaucoup de travail pour ne pas choisir l’auto détestation, pour ne pas avoir la forte conviction qu’on n’est pas une personne à aimer, pour ne pas développer une peur de l’abandon…
C’est un travail continu, permanent, je n’alimente pas des communautés virtuelles pour rien, je n’ai pas voulu devenir comédienne pour rien, si je n’ai encore rien publié à l’âge de 35 ans ce n’est pas pour rien, et vous aussi votre rapport aux choses, vos angoisses, vos peurs, vos désirs ne sont pas liés à rien. Ou a vos gènes.
C’est facile de dire aux femmes et aux personnes minorisées qu’elles sont dépressives parce que c’est génétique. Elle a bon dos la génétique. La souffrance a une part d’hérédité, qui (selon moi) avant de reposer sur les gènes1, repose sur l’expérience familiale, qui elle se transmet qu’on le veuille ou non. Par exemple nos mères ont été massivement victimes de violences sexuelles, comment leur état mental aurait-il pu ne pas avoir un impact sur nous, et comment parler de gène en premier lieu quand on connait l’ampleur des traumatismes liées aux violences sexuelles et à la maltraitance, connues dans l’enfance ? On préfère nous faire ignorer les vraies causes de la souffrance et porter notre attention sur des causes factices, et voilà que l’omerta permet de maintenir les dominations en place, le brouillard a cet avantage de nous empêcher de voir la route.
Tout a une source, et penser que tout est une affaire de biologie est une façon de nous éloigner de la compréhension que nous avons de nous-même, de notre enfance, et des expériences sociales vécues. Quand on se connait, on apprend à s’aimer, on développe une bienveillance pour soi-même et le processus d’auto détestation s’enraye.
Nous discriminer c’est nous maintenir dans la croyance que nous ne valons pas grand chose. Quand on n’a plus de dignité on ne peut plus la protéger, notre confiance s’en retrouve ruinée, alors on se laisse faire. L’inverse marche aussi, voilà comment un homme blanc blanc bourgeois, même quand il est inculte, pense qu’il chie de l’or.
Et que les élites souvent incultes au possible bien que formées dans des écoles à 10 000 euros l’année, pensent sincèrement mériter la première place du podium.
Voila comme c’est facile de créer une dynamique de domination.
C’est marrant comme ça rappelle une relation d’emprise non ?
Merci de m’avoir lue, je vous embrasse !
Le film à voir : Everything everywhere all at once
Dur ne pas y voir l’inspiration Matrix, rythme un peu difficile à suivre surtout dans un premier temps, mais il vaut la peine d’être vu, pour ses actrices, son histoire, et la façon dont les réalités virtuelles sont présentées. Je devrais le revoir une deuxième fois, je pense être passée à côté du petit truc en plus mais j’ai déjà bien apprécié le premier visionnage.
Les études pour faire le lien entre le caractère ou des choses comme l’orientation sexuelle ne sont à ce jour ne sont pas suffisamment avancées, on n’en sait encore rien, il faut savoir que la biologie et la génétique sont instrumentalisées depuis la nuit des temps par les dominants pour justifier leur suprématie : trouvez une étude FIABLE, dont les données ne sont pas biaisées, dans un domaine où la manipulation a atteint des sommets, où encore en 2023 on laisse Raoult exercer encore la médecine après avoir publiée une étude qu’il a trafiquée, et après on parle. Les conservateurs ADORENT le déterminisme biologique. “Les noirs ont une boite crannienne différente ? Voila
la preuve qu’ils sont en dessous de nous !!!”. Voila en gros, les choses qu’on a laissées passer.