J’essaye de commencer un livre que j’ai toujours su que j’écrirais un jour, comme beaucoup de personnes qui ont tendance à écrire j’ai toujours voulu écrire un livre sur ma mère. Il fallait peut-être que j’arrive à 36 ans pour être prête, l’âge que ma mère avait quand moi j’avais déjà 15 ans, il fallait peut-être que je sois confrontée aux difficultés, aux réflexions sur le principe de mère porteuse, une solution illégale en France (et qui me pose un véritable problème éthique), mais qui me garantirait de ne pas dégrader davantage un corps qui a déjà perdu beaucoup de force : enceinte je perdrais beaucoup de mobilité donc à l’issu de 9 mois mes muscles seront trop touchés et je sais que je ne pourrais plus marcher comme aujourd’hui, d’autant que mes genoux ne supporteraient pas bien 10 kilos supplémentaires, je ne peux pas accoucher par voix naturelle, la césarienne dans le cas d’une maladie musculaire implique une convalescence plus longue et difficile, en bref le coût d’une grossesse pour une femme en bonne santé est déjà grand mais on parvient à l’ignorer suffisamment pour se lancer, dans mon cas c’est plus complexe. Dans les faits c’est possible et une procédure pour éviter de transmettre ma maladie à un enfant existe (même si cela réduit les chances de grossesse), je ne mettrai pas ma vie en danger mais il serait naïf d’ignorer toutes ces complications et que le post partum sera forcément très difficile, d’autant que je ne pourrais jamais m’occuper du bébé toute seule, je ne pourrais ni le laver ni le mettre dans sa chaise haute,... J’ai conscience de ce que j’ai à gagner, mais surtout de ce que j’ai à perdre, et c’est tout le problème.
Je n’ai pas de relation mère-fille à proprement parler avec ma mère, j’ai toujours pensé que j’aurais une petite fille ou un petit garçon à mon tour, que je serais de l’autre côté de la barrière et que je donnerais tout ce que je n’ai pas eu à cet enfant - parce que j’en aurais la possibilité, contrairement à ma mère qui n’est pas tant responsable du manque de soin et d’implication à mon égard (c’est en partie le sujet du livre, un essai/roman féministe). Seulement l’Univers semble me rire au nez, je n’aurais pas eu de maman, et aucun enfant ne m’appellera jamais maman ? Moi ? Qui ai appris tant de choses pour un jour être la meilleure mère possible ? Ai-je pour destinée secrète de développer une sagesse hors du commun ?
Je ne me dis jamais “pourquoi moi”, à quoi bon questionner le hasard, je me demande plutôt ce que j’ai à gagner des complications que je rencontre bien plus fréquemment que la moyenne, parfois je me dis qu’on m’a vraiment jeté un sort1, mais souvent je suis simplement fière de moi, je sais que l’amour que j’ai appris à me porter et la vérité que je m’oblige à regarder en face m’aident à trouver l’acceptation (exercice du quotidien) et une forme de paix.
Je suis logiquement entourée de mamans qui ont une petite fille, à commencer par mes deux meilleures amies, ces dernières années j’ai tendance à me protéger face aux enfants avec qui j’ai une connexion presque immédiate et systématique, mais je suis récemment devenue marraine d’une petite fille, et cet été j’ai fréquenté une petite de 4 ans qui semble être sortie d’un compte de fées, une expérience de quelques jours vient gâcher ce que les autres parents avec enfants ont plutôt tendance à m’inspirer, à savoir surtout les aspects négatifs.
Je rationalise depuis plusieurs années au sujet de la maternité, sur la perte de liberté, sur l’absence d’égalité entres les hommes et les femmes, sur l’aspect financier (n’ayant aucun patrimoine en vue), sur la situation de la société et de la planète, mon cerveau tient la barque mais parfois le coeur s’en mêle et se fiche de la rationalité.
Il y a une phrase que je répète beaucoup : “j’aurais des regrets quelle que soit ma décision”, une décision qui ne sera pas une décision alignée avec mon désir, mais dépendante d’un contexte sur lequel je n’ai que peu d’emprise, mais appelons ça une décision quand même.
Faisons comme si mes obstacles n’étaient pas si importants : si je fais un enfant, je serai maman mais je regretterais ma liberté, ma vie d’avant, mon énergie, l’absence de responsabilités, et si je n’en fais pas, je regretterais la maternité, la parentalité avec mon conjoint avec qui je serais si heureuse d’élever un enfant, je regretterais cette forme d’amour inconditionnel que seul un enfant semble pouvoir susciter,…
Ignorons quelques instants les obstacles techniques qui me concernent personnellement dans cette réflexion, je considère qu’une femme qui a toujours pensé qu’elle voulait être maman, et qui développe une forte conscience féministe ou une propension à tout questionner, est forcément face à un choix plus difficile, plus la conscience est forte, plus le désir d’enfant - quel que soit sa force - est chahuté.
Plus la conscience est forte, plus on creuse un décalage avec les autres qui n’ont pas l’occasion de porter la réflexion si loin.
J’écrivais dans la lettre précédente sur le consentement sexuel que “dans une société qui nous conditionne à plusieurs niveaux depuis que nous sommes nées, le libre arbitre n’est pas facilement à portée de nos mains, il demande une forte remise en question d’à peu près tout, de penser hors norme, ce qui n’est pas toujours facile ni bien vu”. J’ajoutais que “le patriarcat n’a aucun intérêt à ce que nous ayons notre libre arbitre”, ce qui est valable pour la lettre d’aujourd’hui également : la société patriarcale veut que nous fassions des enfants, la maternité dans notre société telle qu’elle fonctionne actuellement étant un des obstacles majeurs à l’égalité homme-femme. On n’achète pas innocemment des poupons et des mini poussettes aux petites filles, ces codes ne nourrissent pas un instinct maternel forcément déjà présent, ils lui donnent naissance avant de le nourrir, bref c’est un autre sujet, un vaste sujet.
Si je n’avais pas eu cette maladie je ne me serais pas posée tant de questions, dans quelle mesure je veux vraiment un enfant ? Dans quelle mesure mon désir si fort d’être mère était-il le mien, dans quelle mesure je l’ai intégré si fort parce que nous sommes conditionnées à l’intégrer ?
Pour autant un désir même s’il est inspiré par un système ou par quelqu’un d’autre, n’est pas moins un désir réel, dans quelle mesure tous nos désirs sont-ils les nôtres ?
S’il existe tant de crises existentielles passé un certain âge, c’est qu’on a tendance à réaliser plus tard qu’on a suivi un chemin qu’on nous a dicté. Même s’il existe des personnes qui ne changeraient rien si tout était à refaire, le regret est le propre des être humains que nous sommes, il nous accompagne autant que nous avons besoin d’oxygène pour respirer.
On pourrait philosopher des heures, on a déjà des réponses assez claires quant aux différentes formes de conditionnement social, le fait est que nous sommes des êtres sous influence, mais on se fiche un peu de la source de nos désirs, savoir qu’ils dépendent de certaines choses qui nous dépassent, permet de nous éviter les certitudes. S’il y a des certitudes indéniables (tous les êtres humains sont égaux et doivent être égaux), d’autres peuvent être particulièrement fausses et dangereuses (l’homosexualité est une déviance).
On se demande trop souvent si le choix qu’on va faire sera le bon, mais dans certaines situations il n’est pas question de bon ou de mauvais choix, selon le contexte il y en aura souvent un à privilégier, mais parfois quand on est face à deux portes, les deux se valent, et on a beau être certaine de vouloir prendre une porte et pas une autre, on se demandera toujours à un moment ou un autre “et si ?”. Et si j’avais pris l’autre porte ?
Je pense que cette façon de voir les choses qu’on pourrait penser fataliste, contribue au contraire à trouver la paix, à lâcher prise.
C’est une personne très ambivalente avec le regret qui vous le dit : je ne regrette que rarement mes choix de vie et les choix les plus décisifs, mais au quotidien je suis la reine du regret, un de mes pires défaut et de pouvoir dire à tout bout de champ j’aurais dû faire, j’aurais dû prendre ce plat, j’aurais dû en acheter plus, et clairement ça ne sert à rien si ce n’est générer des sentiments négatifs inutiles, pour autant je ne sais pas m’en empêcher, même si je fais des efforts !
Le film à voir : Une femme sous influence
J’adore ce film et le cinéma de John Cassavetes, il est le mari de Gena Rowland, une actrice incroyable qu’il dirige pour ce film. Il devait à la base être une pièce de théâtre, mais face à l’implication émotionnelle d’un tel rôle, elle a refusé de le jouer régulièrement sur plusieurs mois, ils en ont fait un film avec les moyens du bord. J’ai incarné ce rôle pour quelques scènes durant mes cours d’Acting, je ne suis pas attirée par ces rôles par hasard, j’ai une facilité pour incarner les mères et les femmes folles, précisément parce qu’elles ne sont pas folles, mais que personne ne tient vraiment à les comprendre. Moi j’y tiens. Je me suis lancée presque sans m’en rendre compte dans une quête sur la santé mentale des femmes et plus spécifiquement des mères il y a longtemps déjà, mais on y reviendra ! J’espère plutôt dans un livre du coup 😅
Merci de m’avoir lue, n’hésitez à laisser un commentaire, me faire un retour ou dire à vos amies de s’inscrire à ma newsletter ☺️ A très vite.
Ma belle-mère était très magie noire et selon des membres de ma famille elle a certainement réussi à me jeter un sort. Voilà…
Encore une fois passionnante ! J’espère vraiment le lire un jour ce livre !!