J'aime l'idée de cette lettre, que je trouve encore plus confidentielle que le blog sur lequel on avait une intimité qu'on ne peut pas retrouver sur Instagram. Sur ce réseau l'exposition est délicate, nous sommes livrées à un tas d'inconnus, ou de gens qu'on connait et qui nous espionnent presque, qui épient la moindre trace de vie privée.
Je voulais vous proposer des écrits qui arriveront directement dans votre boite mail chaque semaine, et vous laisser l'occasion d'y répondre, sans ressentir la gêne qu’on peut ressentir aux yeux de tous sur un réseau social.
Je voulais aussi ne plus avoir à me brider, comme quand je parle de maternité par exemple.
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J'ai arrêté la contraception très jeune. D'aussi loin que je me souvienne je me suis toujours imaginée maman. Au début de nos études, on se disait avec une très bonne amie que ce serait chouette de tomber enceinte à 27 ans, en même temps. Au moment où je vous écris, elle est maman de deux enfants depuis un moment déjà, mes autres amies également. Je ne cache pas qu’il m’était étrange d'avoir été la première à formuler un désir d'enfant, et d'être celle qui n'en aura peut-être pas, ou qui sait, d’être la dernière.
10 ans plus tard je divorçais. Je ne suis pas tombée enceinte durant ma relation. Je commençais ma vraie vie professionnelle donc je n’étais pressée d’identifier le problème, et une fois arrivée à Paris faire un enfant n’était pas du tout une priorité, mon ex-mari vouait sa vie au travail, nous allions en vacances une semaine par an en moyenne, j'étais très souvent seule - je ne me souviens pas qu'il m'ait accompagné faire les courses une seule fois, je travaillais à la maison, alors je les faisais en semaine quand il était au bureau - toujours la même routine. Il s'agissait d'une sorte d'accord, j'avais accepté d'attendre nos 30 ans pour que notre couple redevienne une priorité, pour ne plus passer après, bien qu'en théorie je passais avant, pour enfin mener la vie comme moi je le voulais, enfin comme on le voulait tous les deux les premières années de notre relation, avant que le travail ne prenne toute cette place. D’autant que cette situation était évitable, la vie n’est pas si noire ou si blanche, mais le sujet était devenu tabou.
Mon activité professionnelle passait après la sienne, je m'occupais de tout, si j'avais eu des enfants lors de ce mariage j'aurais dû me sacrifier, et étant la parente de référence il aurait été évident qu'en cas de séparation j'aurais eu la garde des enfants. Comme cela a été le cas pour toutes les femmes séparées que je connais, pour toutes mes amies sans exception, même quand le papa est "moderne", il est d'une évidence indéniable que la garde revient à la mère. Qui de toute façon n'envisage pas une seule seconde de la laisser au père, qui dans la grande majorité des cas n’a pas développé le même niveau de compétences pour s’occuper de l’enfant1.
Toute l'aliénation qu’on subit et tout l'impossible qu'on nous demande se cristallise ici : dans l'idéal de notre combat féministe il nous faudrait une garde partagée, ce qui revient à laisser les enfants avec des hommes qui par défaut s'en occuperont moins bien2.
Nous voila tiraillées entre notre désir d'égalité, et l'amour inconditionnel qu'on porte à nos enfants, entre notre volonté de nous imposer en tant que femme et ce besoin vital de protéger notre progéniture. Pire que ça, on n’imagine pas une seule seconde de vivre sans eux, de moins les connaitre, de s'éloigner.
Quand le père parce qu'il en a justement la possibilité, oublie rapidement le manque, quand du jour au lendemain, il peut se lever le matin sans avoir à s’occuper d’une autre personne, refaire sa vie ou enchainer les relations avec un sentiment de liberté inouï. Il réalise qu'en voyant ses enfants tous les 15 jours, il ne profite que du meilleur, qu'il n'aura plus besoin de leur demander de se brosser le dents, de penser à leurs devoirs, et qu'en plus il bénéfice du meilleur rôle, le rôle qu'on a uniquement quand on a l'occasion de manquer à nos enfants. Quand la routine consiste à se retrouver au Macdo3. Quand la mère doit gérer une charge si importante, qu'elle aura toujours le mauvais rôle pour un enfant, le rôle de la personne qui engueule, punit, empêche de faire.
Ou le rôle de celle qui va mal, parce que pendant qu'elle lutte pour élever des enfants seule, Monsieur n’est pas tenu de donner tant d'argent que ça, et quand il aura fini de retrouver sa liberté, même s'il a été le meilleur des papas, quand il décidera de refaire sa vie, va avoir avec la validation de la “Justice” la possibilité de pinailler sur la pension alimentaire.
Avec mon ex-mari, nos visions du monde étaient vouées à s'éloigner l'une de l'autre, quand nous avons commencé à changer de milieu du tout au tout, un milieu où je n’ai jamais vraiment pu exister en étant moi-même, j’y suis arrivée par accident alors je me suis adaptée comme j’ai pu. J’ai mis du temps à identifier précisément le mal-être dans lequel j’évoluais, même s’il était dur de ne pas voir que quelque chose allait finir par clocher.
Les séparations font parler les gens, je pense qu’on m’a accusée de tous les maux, on blâme toujours la personne qui réagit, quelles que soient les raisons. Si personne ne t’a trompée, rompre c’est trahir.
J'apprendrais l'année suivant ma demande de séparation que si j'avais donné naissance à un petit garçon, nous aurions découvert dès ses premières années qu'il ne vivrait probablement pas très longtemps. J'étais porteuse d'un gêne malade, meurtrier pour les garçons, j'avais une chance sur 2 de le transmettre4.
Si la vie semblait un peu difficile en cette année particulière, il m'apparaissait à quel point elle aurait pu l'être encore plus.
La dépression n'a jamais été une "maladie" plus féminine comme aiment le dire ceux qui oublient le lien entre psychologie et contexte social (ou comment les charlatans comme Freud continuent à avoir des répercussions sur nos vies et les stéréotypes de genre).
La dépression est une maladie de personne qui subit. Une maladie liée aux inégalités répétées, à l'injustice, au trop plein. J’ai la sensation de l’avoir évitée une fois de plus en ne devenant pas mère, en tout cas au sein d’une relation hétérosexuelle aussi stéréotypée. On me demandait régulièrement ce que j’attendais pour faire les examens, mais je savais très bien ce que je faisais en laissant l’infertilité de notre couple en plan.
Etre confrontée à cette attente, et cette potentielle impossibilité m'oblige à me poser des questions qu'une femme se poserait rarement autrement, m'oblige à considérer ma position de féministe radicale avec beaucoup de recul, face à ce désir d'enfanter qui me semblait pourtant inébranlable, avant que je ne le questionne tant.
Avant que je ne pense aussi à la liberté perdue, à la vie qui change, à mon besoin de solitude, au climat,…
Contrairement à ce que je dis souvent sur le savoir, pour faire des enfants il faut peut-être garder un peu d’ignorance. Un peu d’innocence. Il faut accepter de voir une bosse sous son tapis des mois durant, et de la contourner quand on passe l’aspi.
Si on ne regarde par la bosse, elle n’existe pas. Moi, on m’a forcée à la regarder des heures durant.
On sait que la parentalité, surtout en cas de séparation - est le premier gros obstacle à une réelle parité entre les femmes et les hommes.
Il apparait comme une évidence que le seul moyen de ne pas être lésée par rapport à son conjoint, est soit de ne pas faire d'enfants - auquel cas on risque de finir lésée quand il enfantera avec une femme plus jeune plus tard - soit de définir qu'en cas de séparation c'est lui qui en aura la garde, ou qu'elle sera alternée. Et par là même, de faire en sorte que les deux parents développent le même niveau de compétence.
Cela montre bien la radicalité, la force et la résilience qu'on nous demande pour espérer réduire au maximum les inégalités de genre.
Mais j'ai envie de demander, notre combat peut-il se gagner sans remettre en question de tels fondamentaux ?
Je ne vous laisse pas en suspens, pour finir ma réflexion je dois attendre mi 2023, mais je peux déjà vous dire que si enfant il y a, je sais qu’il sera fait avec un homme qui sait qu’il devra s’en occuper AUTANT que moi, et qui sait ce qu’il se passera si séparation un jour il y a ! On peut presque tout vivre, si on s’y prépare5. Presque tout.
Merci de m’avoir lue, je pensais traiter différents sujets en même temps mais je me suis laissée portée, et je crois bien que ça me plait comme ça.
Les correspondances aborderont des thèmes variés, donc elles pourront être très différentes, je précise au cas où vous n’auriez pas beaucoup aimé le format d’aujourd’hui !
Je serais comme toujours, ravie d’avoir des retours de votre part.
Doit-on vraiment avoir ce débat avec les hommes ? Suffirait de faire des statistiques sur base des rdv chez le pédiatre pour constater cela sans aucun débat..
A la façon que les jeunes hommes ont de mal faire les tâches ménagères, pour justement ne pas avoir à les faire. La stratégie du mec qui n’a aucune intention d’apprendre à bien faire, MAIS qui te dira à la moindre critique, “si tu fais mieux que moi t’as qu’à le faire toi même !”
En tout cas c’était la routine pour ma soeur et moi, 3h passées au Macdo un dimanche sur 2. Vous connaissez ?
J’ai une dystrophie musculaire, appelée myopathie de Duchenne, j’en parle un peu sur mon blog.
Si j’avais eu des enfants plus jeune, je n’aurais donc jamais été préparée à tout ça.